mercredi 23 novembre 2016

Ecrire pour de bon - Article 2: Peut-on TROP écrire? - Novembre (2)

Bonjour à tous!


Plusieurs fois, à l'occasion, en papotant avec des collègues auteurs, j'ai entendu cette remarque à propos d'un(e) autre collègue: "Machin(e) écrit trop, il/elle va abîmer sa plume, ses livres seront moins bon." 

Cela soulève chez moi des vagues de questions et beaucoup de perplexité. Généralement, comme je ne suis pas trop du genre à entrer dans le débat, je me contente d'un "ah bon?" et je laisse mon interlocuteur/rice poursuivre son raisonnement. Sauf qu'en fait, plus j'y pense, et plus cette assertion me semble erronée. 

A l'heure où le Nano se termine et où, ici et là, on voit encore des gens -qui n'ont jamais été forcé de le faire par qui que ce soit- cracher dessus -quand personne ne leur a demandé leur avis-, je me suis dit que je pouvais aussi, à mon échelle, défendre ce en quoi je crois. 




L'essentiel étant: écrivez-vous? 





1. La pratique te rend rarement plus mauvais dans ton art

Je sais que ça a l'air idiot, dit comme ça, mais c'est mon point numéro un. Prenez un artiste ou un artisan, n'importe lequel. Entre celui qui abat un max de travail, bosse sans relâche, se lève la nuit parce qu'il a eu une idée, recommence cent fois ce qu'il a échoué, et celui qui passe son temps à réfléchir à comment il va faire L'OEUVRE, eh bien, ma foi, je sais sur lequel je mise pour avoir un truc qui pète. Et ce n'est pas sur le second. 

Travailler davantage nous rend meilleur dans notre travail. Je ne vois pas pourquoi l'écriture ferait exception. Pour moi, cette exception est française, c'est la même qui veut qu'on ne puisse pas apprendre à écrire, que c'est un "don" qui se "cultive" et qui se nourrit de l"inspiration". Je ne suis pas d'accord avec ça. J'ai plus confiance en des heures passées à m'interroger sur mes pratiques, user des clavier et noircir des pages pour progresser qu'en une quelconque illumination soudaine qui me fournirait la "grâce". 



VOILA





2. La flamme et le travail

Alors du coup, on peut s'interroger sur le fait de transformer sa passion en travail. Point que j'ai développé beaucoup moi-même, vu que j'ai fait le choix de m'orienter vers des études scientifiques plutôt que littéraire justement pour ne PAS transformer ma passion en travail. Donc, l'idée, ce serait que pour que la passion reste intacte, il ne faudrait pas la travailler? 

Non. 

Je n'ai pas dit ça. Ce que je craignais, c'est d'être forcée à. C'est la notion de contrainte qui m'effrayait, et qui à terme, aurait étouffé l'étincelle de l'envie dont nous parlions dans une note précédente. Je ne le souhaitais pas. 

Mais tant qu'on n'est pas contraint, tant qu'on a envie d'écrire, tant qu'on se met à sa table de travail avec plaisir, alors toute écriture, tout roman, toute ligne inscrite sur l'écran est un plus, et pas un moins. N'allez pas vous frustrer sous prétexte qu'il ne faudrait pas "trop écrire!". Says who?  



En plus. 




3. La théorie des 10 000 heures 

Le père de cette théorie est Anders Ericsson. Il explique qu'il faut du temps, beaucoup de temps, pour atteindre l'excellence dans un domaine particulier. Bien sûr, c'est du temps qu'on accepte de consacrer à ce domaine, cela concerne donc très souvent les gens passionnés. Et comme dit Eric Chouinard dans son analyse de cette théorie:

"Ainsi pour moi, ces 10 000 heures de pratique sont en réalité un baromètre de travail acharné et de dévouement. En effet, il ne suffit pas de faire la même chose pendant 10 000 heures, soit 10 ans à 20h par semaine ou 5 ans à temps plein... Il faut aussi augmenter le niveau de difficulté lorsque l'on fait du progrès afin de devenir encore meilleur. Et quand les choses sont plus difficiles, il y a plus de chances que l'on tombe. 

Terminer ces 10 000 heures c'est donc apprendre à tomber, à se relever, à capitaliser sur les leçons tirées de ses erreurs et de recommencer coûte que coûte. Les 10 000 heures de pratique aident évidemment à la maîtrise d'une discipline donnée mais par-dessus tout, c'est la détermination farouche de ceux et celles qui entreprennent un programme intensif qui fera en sorte qu'ils se distingueront du commun des mortels." 


Bon, même si on aspire pas forcément à se distinguer du commun des mortels, si on aspire juste à progresser, ce progrès là passe par le travail. Et là, vous commencez à me connaître: vous reprendrez bien un coup d'Ira Glass



Quand vous la connaîtrez par cœur, j'arrêterai, promis


4. Le don et ce qu'on en fait

Oui mais voilà, en France, les artistes sont une classe à part. Les artistes sont des gens bénis par les fées marraines qui se sont penchées sur leur berceaux et qui leur ont attribué un "don" dont il serait fort mal avisé d'abuser. Les artistes ne doivent pas trop produire, sans quoi leur production perd de sa valeur, selon le bon vieil adage de "ce qui est rare est cher" (et ne me parlez pas du cheval borgne). 

Ici, j'aurais voulu vous retrouver une page de blog BD d'un dessinateur confronté à une mère de famille le voyant faire des croquis au zoo. Malheureusement, comme je n'ai pas retrouvé la BD, et vous m'en voyez fort marie parce que je ne peux donc pas citer l'auteur. Ami lecteur, si tu vois de quoi je parle, un lien serais bienvenu. Mais bref. 

Notre dessinateur dessinait les animaux au zoo. Un mère vint à passer qui lui dit qu'il a un don. Le dessinateur de répondre que oui, sans doute au début, mais que tous les enfants savent dessiner à peu près à un certain âge, et que seuls continuent ceux qui ont envie de fournir les efforts nécessaire à progresser, ceux qui veulent atteindre un mieux. Que le don s'il est là, est loin derrière les heures de travail, d'acharnement, et d'études. Et la mère de lui répondre qu'elle comprend mais que quand même... il a un don. 

Bon. Je ne crois pas que j'ai davantage besoin de développer ce point, amis vous l'aurez compris, je suis dans la team du dessinateur. Et je ne crois pas qu'on entretient son "don" en ne le travaillant pas, bien au contraire. 





Tout est une question d'équilibre




5. L'effet tunnel

Pourquoi au contraire? 

Eh bien, à cause de l'effet tunnel. Je le ressens très fort sur ma saga de mafia sur laquelle je bosse depuis des années, et sur laquelle, donc, mon point de vue n'est plus DU TOUT pertinent -et ne le redeviendra sans doute jamais. 

Quand vous passez des heures, des mois, des années à réfléchir sur un sujet et un seul, une idée et une seule, un projet et un seul, vous ne le rendez pas meilleur. A l'inverse, il y a de forte chance qu'au lieu d’abîmer votre plume en écrivant, vous abîmiez vos yeux et votre cerveau en repassant sans cesse sur les mêmes ornières. A force de peaufiner, votre outil (cerveau) va perdre de son tranchant et de son acuité. Je crois très fort qu'il y a un temps limite à passer sur un projet avant de le desservir. Votre regard s'est rétréci, votre champ des possibles s'est réduit, votre marge de manœuvre aussi. LE projet devient un peu plus lourd à chaque tentative. 

Alors après on peut m'objecter que les gens qui produisent peu ne passent pas forcément plus de temps sur leurs bouquins. Certes. Mais franchement, les types qui pondent un bouquin génial tous les quatre ans et rien entre les deux, ils ne sont pas légions, et ce n'est pas mon idéal. Soyons clairs, je me ferais drôlement suer si je devais passer trois ans sans écrire...  



Pour le coup, ce serait là que j'aurais la sensation d'être dans un tunnel... 



6. Plus j'écris... plus j'écris. 

Parce que dans cette idée d'écrire trop, il y a une notion qui m'échappe. Est-ce que les gens qui pensent qu'on risque quelque chose à TROP écrire brident leurs idées? Personnellement, j'en serais incapable, et s'il y a bien une chose que je constate au quotidien, c'est que plus j'écris... ben plus je dois écrire. Plus je développe des idées, plus je les couche sur le papier, et plus de nouvelles histoires se présentent. Plus je créé, et plus la création arrive en masse. 

Les moments où j'ai le moins d'idées sont également les moments où j'écris le moins, parce que le travail au collège me prend trop de temps ou parce que je suis occupé à d'autres choses (arts martiaux, famille, etc...). Généralement, quand je suis dans une démarche de création, il y a un vrai emballement de la machine et les nouvelles idées de romans poussent dans mon esprit comme les champignons après la pluie. Donc si je devais moins écrire... ben je pourrais moins écrire. Cercle vicieux. 

Mais après, peut-être qu'on ne fonctionne pas tous pareils et que certain(e)s collègues ont besoin de temps entre deux romans pour développer un nouvel univers. Chacun sa came, je n'aurais qu'un conseil. Pitié, ne vous frustrez pas! La passion n'aime pas ça. 



Mais on se soigne. 




7. Nourrir Muse plutôt que de la frustrer.

Nourrir Muse se fait rarement dans l'oisiveté. Comme j'ai eu le plaisir de le dire plus haut, mes plus grosses phases de créations et d'imagination se font justement quand je suis occupée à écrire -de préférence autre chose. Pourquoi? Eh bien parce que je suis déjà dans le processus de création, pardi. J'ai ouvert la boîte de Pandore, l'Imagination est en roue libre, et tandis que j'explore les différentes façons de mener mon histoire, des possibilités apparaissent.

Tout est bon pour suivre les chemins de traverse: on travaille sur du fantastique, on croise un dialogue et pop, "tiens mais ça ferait une super base pour une nouvelle de SF!"... ou encore on est dans la recherche d'un lieu précis en référence pour une truc historique et toc, on tombe sur un fait divers qui ouvre un autre chemin pour un roman d'aventure... Bref, vous l'aurez compris: le cerveau n'aime rien tant que la profusion, et dès qu'on ouvre la porte à l'Imagination, elle met le pied dans l'embrasure et vous tient la jambe pendant des lustres.

Si on laisse entrer Muse que de temps en temps, ce phénomène est moins puissant pour la simple et bonne raison que les occasions de partir battre la campagne sont rares. Pour développer des idées, le cerveau a besoin d'être dans un certain état d'esprit. Mais encore une fois, je ne parle que de mon expérience. 



Ray forever. <3 




8. Connais-toi toi-même.   

Et cela m'amène à ce point 8: connais-toi toi-même, comme il était écrit sur le temple d’Apollon à Delphes. Apollon il s'y connaissait en création et en inspiration, mais je m'égare. 

J'entends par là deux choses: la première, c'est que c'est dans la pratique de notre travail que nous découvrons nos tics d'écritures, nos travers, et nos défauts. C'est en écrivant beaucoup, en travaillant dur, en répétant nos erreurs et en les corrigeant que nous progressons. Nous apprenons à dompter l'auteur en nous, à affiner notre style, à nous sermonner quand nous tombons dans nos anciens travers, à reconnaître quand nous sommes mauvais. Mais ça, ça ne vient que dans l'exercice, et la répétition de celui-ci: ça vient avec le travail. Ecrire plus, c'est progresser plus vite si tant est, comme il est dit plus haut, qu'on a à cœur de s'améliorer. Car alors, on trouvera toujours le moyen d'avancer dans notre écriture. 

Mais connais-toi toi-même signifie aussi qu'il faut tester ses propres limites. Il faut aller au bout de ce que l'on est capable de faire, explorer notre propre limite, et reconnaître quand on l'a franchis. Si un jour je finissais un livre et, parce que je dois en écrire un autre, je le posais sur la table de l'éditeur sans en être satisfaite, il y aurait un problème. J'espère bien que ça n'arrivera pas. C'est dans ce cas, et dans ce cas seul, que j'évaluerai que ma production nuit à mes romans. pas avant. C'est à chacun d'entre nous de trouver son rythme de croisière et de produire en conséquences. 



Cette illustration est sponsorisée 
par l'amicale des langues anciennes



9. La démonstration par l'exemple

Je termine ici. Voici certains de mes auteurs préférés. Et tâchez de vous souvenirs qu'il n'ont pas commencé à écrire à 10 ans, quand vous relativisez le nombre de leurs œuvres.  


Ayerdhal - 26 romans, tous meilleurs les uns que les autres

Pierre Bordage - 40 romans, pléthores de nouvelles

Neil Gaiman - 15 comics - 19 romans/nouvelles - je ne compte pas les séries.

Robin Hobb - Plus de cinquante romans/séries publiées sous différents noms.  

Stephen King - Plus de cinquante romans/séries publiées sous différents noms.



Je ne sais pas pourquoi, mais je ne crois pas qu'écrire trop soit un concept qui les touche. J'aimerai bien, un jour, produire autant -et aussi bien- qu'eux. Et si vous avez des doutes, lisez "Ecriture, mémoire d'un métier", de King. Vous verrez que généralement, on écrit -en plus- bien plus que ce qui est publié. Et que le travail et l'acharnement, il peut en parler. 






10. Et maintenant, retournons au travail! Après tout, le Nano n'est pas terminé. 



On se retrouve plus tard

Andoryss




2 commentaires: